Et si nous prenions le temps de respirer un peu, entre deux blockbusters suintant la testostérone et l'action effrénée ? Il est vrai que l'afflux incessant de softs globalement de plus en plus orientés action et les licences à suite à n'en plus finir, il va sans dire que le petit monde du jeu vidéo commence très sérieusement à saturer. Par miracle, il arrive parfois que sous cette masse informe un titre sorte du lot. Par miracle, oui, et de façon très inattendue - Ici par le biais du Playstation Network - Il arrive qu'un titre sorte de nulle part et foule au pied les conventions habituelles en s'affranchissant des règles établies qui prédominent dans 95% des productions du marché. C'est le cas de cette fable numérique en total décalage avec les valeurs traditionnellement véhiculées dans les jeux vidéo : Bienvenue dans l'univers fantastique de Journey ! préparez vous à un voyage onirique dont vous ne ressortirez pas indemne !
Processus créatif.
Le studio Californien Thatgamecompany - à l'origine du déjà très abouti Flower en 2009 et dont l'un des créateurs principaux, Jenova Chen, était à l'origine du sympathique flOw (2006) - remet le couvert en 2012 avec un concept très original et différent de tout ce que l'on à pu voir dans le domaine du jeu vidéo jusqu'à présent. Il faut dire que le studio affiche de grandes ambitions quant à la manière d'aborder le média jeu vidéo. Ils mettent un point d'honneur à expérimenter de nouvelles façons de raconter des histoires via des formes inédites de narration, et osent aborder des thèmes qui ne sont pas outrageusement exploités dans d'autres jeux, tels que la spiritualité, l'écologie ou encore la solitude, la réincarnation... Et Fichtre, que cela fait du bien ! Il faut dire que Thatgamecompany est un petit studio d'une quinzaine de personnes environ, et que Journey est exclusivement disponible en téléchargement sur la Ps3. Leur statut de petit développeur indépendant ne travaillant que sur des titres dématérialisés fait que la pression est moins grande et les enjeux financiers moins importants que pour des jeux dont les coûts souvent exorbitants exigent un retour sur investissement conséquent. C'est donc libérés de ce diktat du marché que les créateurs de Journey ont pu faire étal de leur créativité sans aucune barrière artistique. Enfin ! Voilà un studio de développement qui ne cède pas aux sirènes de la facilité, et dont le maître mot est la recherche constante de nouvelles formes esthétiques qui font avancer ce média pour qu'il puisse enfin afficher une alternative ludique digne de ce nom. C'est sans nul doute une soif inextinguible qui anime les esprits créatifs de chez Thatgamecompany, et qui donne à ce Journey - qui fera date dans l'histoire du jeu vidéo - une texture et une saveur toute particulière.
Une fable philosophique.
Journey n'est pas un jeu comme les autres. Il ne faut donc pas tenter de l'aborder de manière traditionnelle et méthodique. Plus qu'un jeu, c'est avant tout une expérience qui nous place au cœur d'un processus tellement complexe, qu'il serait difficile de le définir en si peu de mots. Ici, point d'Ath : aucune information n'est affichée à l'écran, aucune quêtes ou objectifs ne nous seront imposés : nous sommes libre. Libre comme l'air. Libre de déambuler comme bon nous semble dans ce désert mystérieux dans lequel notre personnage - étrange protagoniste féminisé vêtu d'une flamboyante Hijab et d'une écharpe bordeaux - entame son périple. C'est cette étendue sableuse qui s'offre à nos yeux qui surprend tout d'abord, impressionnante de par sa beauté, qui n'a d'égale que son immensité. Le jeu se présente comme une fuite éperdue dans les ruines d'une civilisation fictive oubliée. Jamais il n'aura été d'aussi grand plaisir vidéoludique que de simplement marcher dans cet univers tellement bien représenté qu'il en devient presque tangible malgré le caractère inéluctablement immatériel du support ! Le seul objectif, en quelque sorte, sera de se mettre en marche vers cette mystérieuse montagne que l'on aperçoit dès les premiers instants de notre pèlerinage virtuel. C'est là tout le sel de Journey : Ce qui prime, c'est d'avantage les chemins qui nous mènent vers cette quête de vérité que la vérité elle même, si tant est qu'il y en ait une. On erre avec plaisir et délectation de fresque en fresque, à la rencontre des vestiges de notre Histoire.
Progresser vers la lumière.
C'est le grand voyage des sens qui s'ouvre à vous. L'orchestration sonore, si subtile et tellement à propos ne cesse de vous immerger un peu plus encore dans ce monde onirico-fantastique. C'est en effet l'un des éléments clés du titre tellement la qualité des compositions et des bruitages est de haute volée : Enchevêtrement de cuivres, d'instruments à vent, d'harmonies parfaitement synchronisées avec les actions que l'on effectue et les environnements que l'on traverse : Du pur génie, tout simplement. La cohésion est d'autant plus incroyable qu'il n'y a pas de narration à proprement dit dans Journey. Tous les éléments du jeu passent avant tout par un ressenti qui ne dépend pas d'une histoire dont on nous aurait narré par le menu les détails. Il est rare dans un jeu vidéo que le caractère aussi intimiste et mystérieux de notre avatar porte en lui une telle humanité sans qu'il prononce jamais le moindre mot ! Il est ici d'avantage question de réflexion interne, de croyances mystiques et de pensées métaphysiques qui nous traversent l'esprit dans un monde qui nous est totalement inconnu, qui nous dépasse et brille par sa beauté formelle vraiment poignante. La cohérence entre les éléments visuels et sonores montre une direction artistique pertinente, et une incroyable sensation de bien être s'empare de nous lorsque l'on s'abandonne pleinement à cette épopée extraordinaire. Il faut dire que la splendeur des architectures, des nombreux effets climatiques et des étoffes qui ondulent çà et là au gré du vent ont de quoi flatter la rétine ! La prouesse est d'autant plus remarquable que le jeu ne pèse que 590 Mo une fois installé sur disque dur : Autant dire - et c'est à propos - un grain de sable dans le désert !
Symbolique du partage.
Concrètement, nous voguons instinctivement de lieu en lieu par la simple force de l'intuition. Le système de jeu est à la croisée des chemins entre la plate-forme et le puzzle-game, mais est finalement bien plus que cela car il sublime ces genres dans une sorte de synesthésie artistique hors du commun d'où jailli une forme de gameplay assez inédite. En ce sens, la grande force du titre est qu'aucune convention habituelle ne vient porter préjudice à notre expérience de découverte. Nous ne cherchons même pas à trouver les limites physiques du moteur 3D tant nous sommes subjugués par ce voyage emprunt de philosophie. C'est d'ailleurs ce grand mystère sur nos origines et l'absence totale de toute forme de communication écrite et orale (il n'y a aucun PNJ) qui nous pousse à avancer afin d'espérer apprendre le pourquoi de notre présence en ces lieux. Pour autant, nous ne sommes pas tout à fait seul si l'on dispose d'une liaison internet. En effet, en étant connecté au Psn pendant que nous découvrons le monde mystique de Journey, nous pouvons être rejoint aléatoirement par un autre joueur en temps réel. Nous ne pouvons pas savoir de qui il s'agit, ni même parler ou écrire in-game à cet autre explorateur. Nous évoluons ensemble de manière totalement anonyme avec la possibilité d'émettre des sons comme seule communication admissible entre nous.
Toutefois il n'est nullement nécessaire de faire l'aventure à deux pour en apprécier pleinement les enjeux scénaristiques : On peut très bien faire tout le jeu seul sans jamais éprouver un quelconque sentiment d'inachevé. Jouer à deux ne constitue donc qu'un plus fort sympathique qui contribue à faire de Journey une expérience vraiment pas comme les autres, car totalement en marge.
Conclusion : 4,5 / 5
Journey, comme son nom l'indique en Anglais, est une invitation au voyage, à la spiritualité, au delà de toute croyance ou religion. Comment attribuer une note à un jeu qui sort tellement des sentiers battus que le principe même de le soumettre à une évaluation de façon cartésienne paraît absurde ? Difficile de ce fait, de se restreindre à une analyse purement objective d'un jeu qui dépasse clairement les limites des critères de notation en vigueur. D'autant que l'expérience sera très différente d'un joueur à l'autre : Certains n'y verront que peu d'intérêt ludique de par son approche trop détachée du média jeu vidéo traditionnel, d'autres seront totalement séduits par cette fable numérique qui - malgré son seul défaut qui est une durée de vie un peu courte - a le mérite de proposer une vision alternative à toutes les formes de gameplay et de narration habituelles. Disponible uniquement sur le Playstation Store pour la modique somme de 12,99€, Il s'impose comme un indispensable pour tous les joueurs avides de sensations nouvelles et autres curieux ! Jenova Chen et son équipe nous délivrent une fable profondément humaniste au caractère universel qui donne à réfléchir sur l'état du monde et appelle à la spiritualité dans un monde qui en est de plus en plus dépourvu... Parcourir ne serait-ce qu'une fois le monde à l'architecture très singulière de Journey permet de se rentre compte du travail de titan accompli par ses géniteurs, tant techniquement qu'intellectuellement. La magie opère et se diffuse à l'intérieur de nous, en toute subtilité. Une belle expérience humaine, tout simplement.